Les pépiniéristes utilisent un éventail de solutions, avec plus ou moins de succès, pour réduire la croissance biologique excessive, un problème qui affecte couramment les bassins d’irrigation servant de réserve d’eau recyclée. Cette croissance est responsable de l’obstruction de filtres d’admission et, par la suite, de coûts d’entretien importants. Vu le peu de recherches ou de données scientifiques à l’appui de méthodes de rechange et l’absence de normes de pratique claires sur la gestion efficace des bassins d’irrigation, le secteur a un besoin criant de données fiables sur des solutions abordables et durables qui peuvent améliorer la qualité de l’eau.
Plusieurs projets axés sur la qualité de l’eau sont actuellement financés par l’entremise de la grappe de recherches dirigée par l’Alliance canadienne de l’horticulture ornementale (ACHO-COHA). L’un de ces projets, Atténuer les répercussions de l’horticulture sur la qualité des eaux de surface en favorisant leur réutilisation grâce à une meilleure gestion des bassins, est dirigé par Mme Jeanine West, Ph. D., de PhytoServ. Ce projet, qui vise ultimement à aider les producteurs à gérer leurs coûts d’irrigation au moyen de stratégies de gestion des bassins plus durables et respectueuses de l’environnement, est financé par l’ACHO-COHA et le gouvernement du Canada dans le cadre du programme Agri-science du Partenariat canadien pour l’agriculture.
« Les pépiniéristes utilisent presque tous de l’eau recyclée, et ils finissent inévitablement par rencontrer des problèmes liés à la croissance biologique excessive de mauvaises herbes aquatiques, d’algues et de cyanobactéries (ou algues bleu-vert), en particulier pendant les mois chauds de l’été, affirme Mme West. Dans le cadre de ce projet, nous nous penchons sur l’utilisation de nouvelles méthodes de gestion de l’écoulement des éléments nutritifs (le phosphore en particulier) vers les bassins d’irrigation, puis nous examinons comment divers traitements au niveau des bassins peuvent améliorer la qualité de l’eau en général. »
Ce projet s’adresse à trois publics très différents : le grand public, dont les préoccupations environnementales grandissantes sont renforcées par des considérations esthétiques et les risques associés à la présence d’algues et de cyanobactéries dans les étangs et les lacs; divers ministères canadiens, tant provinciaux que fédéraux, qui ont adopté des règlements sur les épandages et les rejets pour diminuer l’utilisation excessive d’éléments nutritifs, en particulier le phosphore et les nitrates; enfin, les producteurs, qui ont besoin de stratégies de gestion des bassins d’irrigation efficaces et durables qui diminueront les coûts engendrés par l’obstruction de leurs systèmes d’irrigation, tout en les aidant à respecter les réglementations environnementales en place.
La première phase du projet, achevée en 2019 avec la contribution exceptionnelle d’un comité consultatif technique, a consisté à concevoir, à construire et à mettre à l’essai un modèle expérimental fiable assurant l’exécution de comparaisons efficaces entre divers traitements de l’eau. « Concevoir un modèle expérimental ne fut pas une mince entreprise, explique Mme West. Non seulement notre modèle devait-il permettre de mener des essais à une plus vaste échelle qu’à celle du laboratoire, mais il devait aussi tenir compte de contraintes physiques et budgétaires. »
« Au total, cinq pépinières de l’Ontario ont été sélectionnées comme sites de recherche, chaque site venant avec son lot de difficultés et de possibilités uniques. Comme nous l’espérions, chacune des pépinières participantes a fait preuve d’un grand esprit de collaboration en nous aidant à installer les diverses structures terrestres et aquatiques nécessaires à la mise en œuvre du projet, mentionne Mme West. Plusieurs pépiniéristes ont même participé à l’installation de lits multicouches nécessaires à l’étude de l’effet des traitements menés en amont des bassins. »
Dans le cadre de ce projet, dont l’objectif explicite est d’effectuer une évaluation et une comparaison systématiques de divers outils de gestion des bassins, Mme West et son équipe de recherche utilisent jusqu’à cinq mésocosmes (enceintes installées dans les bassins ou cellules d’essai) à chaque site. Chaque mésocosme a un volume de 1 à 2 m3 (selon la profondeur du bassin) et est ceinturé d’un tube de flottation en PVC, l’eau devant circuler autour des parois de chaque cellule et sous chacune d’elles. Pour les parois, nos conseillers techniques ont choisi une matière plastique couramment utilisée comme pare-vent. Après avoir eu quelques difficultés à définir le concept de perméabilité et son incidence ultime sur les résultats du projet, ils ont finalement déterminé que des données plus précises seraient obtenues en la présence d’échanges limités entre l’eau à l’intérieur des bassins et celle à l’intérieur des mésocosmes.
Sur chaque site, des essais sont menés dans au moins cinq mésocosmes (un mésocosme témoin) et des mésocosmes servant à l’étude d’au moins quatre des traitements suivants : macrophytes aquatiques immergées, aération au moyen de barboteurs mécaniques, milieu fixant le phosphore, ombrage végétatif par utilisation de lentilles d’eau et ombrage mécanique par utilisation d’une toile d’ombrage.
Dans une ferme, l’équipe de recherche a également mis en place une série de PhytoLinks™ – îlots végétaux flottants qui ressemblent à des zones humides artificielles et qui sont spécialement conçus pour améliorer la qualité de l’eau. Les PhytoLinks™ ont été installés dans des canaux se trouvant à l’intérieur d’un bassin étroit : un canal est demeuré vide (témoin), tandis que dans les deux autres, on a installé deux PhytoLinks™ et deux PhytoLinks™ et un matériau en suspension servant de support pour la croissance du périphyton, une communauté complexe de microorganismes reconnue pour favoriser l’absorption des substances nutritives.
Tout projet de recherche mené dans des environnements extérieurs est soumis à de nombreuses variables imprévisibles. Mme West et son équipe ont fait face aux enjeux habituels. Plusieurs sites de recherche étant situés loin de sources de courant fiables, Mme West est devenue experte malgré elle dans la conception et l’installation de petits systèmes solaires utilisés pour alimenter un aérateur.
L’été exceptionnellement chaud de 2020 a entraîné une utilisation abondante de l’eau, ce qui a affecté la profondeur de l’eau dans certains bassins. Et, bien entendu, cette année, l’équipe a été confrontée au perturbateur ultime – les répercussions imprévues d’une pandémie.
Comme la plupart des travaux prévus pour 2020 ont été effectués à l’extérieur ainsi que dans des environnements à faible contact, Mme West et son équipe ont réussi à atténuer les répercussions de la pandémie de COVID-1 sur leurs travaux. Travaillant en collaboration avec Mme Ann Huber, l’équipe a pu embaucher des techniciens compétents membres de sa famille, ce qui lui a permis de se conformer aux lignes directrices relatives à la COVID-19 en milieu de travail.
Les analyses de l’eau restreintes effectuées en 2019 ont principalement servi à valider le plan d’expérience et les installations du système. Les prélèvements d’eau en bonne et due forme réalisés en 2020 et en 2021 permettront à l’équipe de recherche de consigner les résultats de chaque traitement et d’en étudier l’efficacité. Une sonde YSI ou multiparamètres est utilisée pour étudier et enregistrer divers paramètres tels que la température, les niveaux de pH, les concentrations d’oxygène dissous, les concentrations de chlorophylle a et de phycocyanine, la turbidité et la conductivité. D’autres échantillons d’eau et de sédiments sont envoyés aux Laboratoires A&L Canada pour analyse des concentrations d’éléments nutritifs et de produits chimiques. Des échantillons instantanés d’algues, de plantes aquatiques et de cyanobactéries sont prélevés régulièrement et analysés par Mme Ann Huber du Soil Resource Group à la recherche d’autres tendances et indicateurs de la santé des bassins. Certains des résultats les plus révélateurs à ce jour mettent en évidence la faiblesse des indicateurs de la qualité de l’eau utilisés dans certains des outils de mesure classiques ainsi que la nécessité d’étudier une gamme de paramètres et de méthodes d’essai pour obtenir un véritable portrait global de la santé des bassins.
« Nous transmettrons nos résultats au secteur à la fin de la saison, confirme Mme West. Toutefois, nous savons d’ores et déjà que ce ne seront pas des résultats concluants en raison du trop grand nombre de variables en jeu au cours d’une même année, en particulier les conditions météorologiques saisonnières et les changements dans les pratiques de production. Les essais que nous réaliserons pendant deux années complètes dans le cadre de ce projet ne suffiront pas à obtenir des résultats définitifs, mais ils devraient nous aider à nous orienter dans la bonne direction. Idéalement, nous devrions pouvoir mener une analyse après cinq ans d’essais. Tout ce que nous espérons, c’est de pouvoir prolonger notre expérience au-delà des contraintes temporelles liées à ce projet de recherche. »