Le coût sans cesse croissant des engrais ne constitue qu’une des raisons pour lesquelles les producteurs de cultures agricoles et horticoles, en plein air comme en serre contrôlée, ont jugé bon d’examiner de plus près leurs taux et pratiques d’application. Partout au Canada, le secteur de l’horticulture, et particulièrement les serriculteurs, ont fait l’objet d’une surveillance accrue en tant que source de contamination possible lorsque des niveaux inacceptables de polluants ont été détectés dans les cours d’eau et les étangs voisins. La nécessité de respecter les réglementations de plus en plus strictes en matière de contrôle de la qualité des eaux de ruissellement provenant de l’irrigation établies par les organismes environnementaux s’avère dès lors tout aussi cruciale.
Par conséquent, les chercheurs tentent désormais de répondre à la question en apparence simple qui consiste à savoir « à quel point pouvons-nous réduire notre recours aux engrais? », le tout dans l’objectif de résoudre les deux dilemmes devant lesquels sont actuellement placés les floriculteurs de serre.
À l’Université de Guelph, M. Barry Shelp, Ph. D., mène actuellement un projet de recherche intitulé Optimisation de l’administration de nutriments aux chrysanthèmes en pots cultivés en serre : systèmes d’irrigation souterraine et d’irrigation goutte à goutte, et tente de vérifier l’hypothèse selon laquelle on peut considérablement améliorer l’utilisation des nutriments en modifiant de manière stratégique le moment où on administre des nutriments à la plante. Ce projet fait partie de la grappe Accélérer l’innovation végétale verte au profit de l’environnement et de l’économie et est financé par l’Alliance canadienne de l’horticulture ornementale (ACHO-COHA), des entreprises du secteur privé et le gouvernement du Canada dans le cadre du programme Agri-science du Partenariat canadien pour l’agriculture, une initiative fédérale, provinciale et territoriale. Il se consacre précisément à l’expérimentation de l’administration optimisée de micronutriments aux chrysanthèmes sous des systèmes d’irrigation souterraine et d’irrigation goutte à goutte.
M. Barry Shelp
Université de Guelph
Essais commerciaux avec différents taux N (panneau supérieur) et NPK (panneau inférieur).
Le projet de M. Shelp s’inscrit dans la foulée de ses précédentes recherches menées dans le cadre du programme Cultivons l’avenir 2 (2013-2018), recherches ayant démontré l’efficacité de la réduction de l’utilisation des macronutriments. Dans le contexte du projet, M. Shelp a été en mesure de démontrer que l’apport en azote, en phosphore, en soufre et en potassium pouvait être réduit de 75 à 87,5 % par rapport aux normes actuelles de l’industrie, et ce, sans aucune incidence négative sur le rendement ou la qualité des cultures.
Selon M. Shelp, l’hypothèse élémentaire de sa recherche actuelle, qui consiste à tester les limites de la réduction des quantités d’engrais, semble très simple. Cependant, la compréhension de la physiologie des plantes et l’utilisation des capacités et des attributs inhérents à une plante pour éclairer les processus de prise de décision ayant trait à l’application d’engrais sont bien plus complexes, et ce sont d’ailleurs ces aspects qui l’ont amené à formuler son hypothèse.
« Depuis longtemps, avant même mes études postdoctorales, je m’intéresse aux caractéristiques des plantes liées à l’acquisition et à la redistribution des nutriments. Puis, j’ai compris que la source de nutrition d’une plante changeait au fur et à mesure de sa croissance et de son développement. Dans l’éventualité où cette hypothèse se confirmait, elle pourrait grandement influencer les pratiques commerciales de fertilisation. Bien que j’aie esquissé cette théorie il y a plusieurs années, je suis enthousiaste à l’idée de la mettre enfin à l’épreuve. »
En termes simples, M. Shelp explique que les jeunes plantes absorbent les nutriments par les racines, mais que ce processus change à mesure qu’elle se développe. Les plantes commencent alors à recourir aux nutriments acquis et stockés précédemment et les utilisent lors de la fructification et de la floraison. En réduisant stratégiquement les taux d’apport en nutriments, on peut amener les plantes à mieux absorber les nutriments au début du cycle de croissance et à redistribuer leurs ressources stockées plus tard dans le cycle pour alimenter leurs organes reproducteurs.
Plutôt que d’alimenter continuellement la plante en nutriments, le chercheur propose d’interrompre l’application d’engrais à un moment du cycle de croissance de la plante où ses feuilles ont stocké suffisamment de nutriments pour soutenir la croissance reproductive. En général, le début de la floraison s’avère le moment le plus propice, lorsque la plante passe de la croissance végétative à la croissance reproductive, qu’elle mobilise les nutriments le plus efficacement et que l’absorption des nutriments par les racines commence à diminuer. Étonnamment, cette procédure peut être combinée à une réduction de l’apport en nutriments aux jeunes plantes. Dans la mesure où cette réduction n’est pas excessive, l’efficacité de l’absorption des nutriments par les racines est optimisée de sorte que la plante acquiert et stocke la même quantité de nutriments que dans le contexte d’un apport beaucoup plus important.
Essais de recherche avec différents taux de Fe (panneau supérieur) et de Zn (panneau inférieur).
Mises en œuvre dans les serres expérimentales de l’Université de Guelph ainsi que dans les serres commerciales d’un producteur de la région du Niagara, les recherches de M. Shelp portaient sur le chrysanthème et étudiaient quatre variétés couramment cultivées et représentant la floriculture de serre la plus importante en termes de volume de ventes exprimé en dollars au Canada. On évaluait le rendement des cultures et la qualité générale des plantes, et l’analyse de la teneur en nutriments des feuilles réalisée par la division des services de laboratoire de l’Université a été utilisée pour fournir des renseignements sur le taux de micronutriments. À ce jour, M. Shelp a travaillé avec des systèmes d’irrigation souterraine qui, lorsque correctement gérés, permettent à la composition de la solution nutritive excédentaire de rester essentiellement la même afin qu’on puisse la recycler et la réutiliser. Il a toutefois l’intention de mettre à l’essai sa stratégie d’administration modifiée avec l’irrigation goutte à goutte attendu son importance dans l’industrie. Si on peut réduire l’apport en nutriments, il devrait être possible de diminuer l’irrigation excessive requise pour éviter l’accumulation de sel dans le milieu de culture, ce qui permettrait de conserver à la fois les nutriments et l’eau.
Une fois sa théorie sur la réduction de l’apport en macronutriments (azote, phosphore, potassium, calcium, magnésium et soufre) confirmée, M. Shelp a entrepris d’étudier l’impact de la réduction de l’utilisation des micronutriments. Dans des essais parallèles, le projet a examiné le zinc, le cuivre, le fer, le manganèse, le bore et le molybdène. Selon la composition des différentes formules commerciales étudiées, les résultats ont montré que l’apport en nutriments peut être réduit de 85 à 95 % au cours du cycle de culture, et ce, sans compromettre la qualité des plantes et des fleurs.
M. Shelp est conscient des difficultés liées à l’adoption de nouvelles technologies et pratiques de culture pour les producteurs. « Une fois que les producteurs ont trouvé une formule qui leur convient, on peut comprendre que tout changement comporte son lot de risques. » Il demeure néanmoins convaincu que ce n’est qu’une question de temps avant que les producteurs appliquent lentement les nouvelles lignes directrices en matière de réduction de la fertilisation issues de ses résultats de recherche.
Il est relativement facile de quantifier les économies pouvant être réalisées grâce à une utilisation moindre d’engrais. Calculer les économies issues de la réduction des coûts associés à la purification de l’eau d’irrigation usée, et en particulier des eaux de ruissellement provenant de l’irrigation goutte à goutte, peut toutefois s’avérer plus complexe. « Il est difficile d’attribuer une valeur au fait de respecter les réglementations rigoureuses établies par les organismes environnementaux. Les producteurs reconnaissent toutefois instinctivement que les avantages sont considérables. »
« Ces résultats de recherche déterminants laissent entrevoir plusieurs applications logiques subséquentes, y compris la production de floriculture ornementale en plein air et possiblement la production de cultures comestibles en environnement contrôlé », soutient M. Shelp.
Administration optimisée de macronutriments pendant la croissance végétative.
Teneur en macronutriments des feuilles acceptable avec administration optimisée pendant la croissance végétative.
L’apport de Mn n’a eu aucun impact sur la floraison pendant la croissance végétative.
L’apport de Fe n’a eu aucun impact sur la floraison pendant la croissance végétative.
Optimisation de l’apport de micronutrients pendant la croissance végétative.
Apport acceptable de micronutrients foliaires pendant végétative.