Ayant fait l’objet d’abondants travaux de recherche, la culture en conteneurs dans les pépinières a beaucoup évolué au fil des ans, raison qui explique l’augmentation constante des catégories et des tailles de plantes cultivées en conteneurs. Bien que nous ayons également assisté à une amélioration correspondante des technologies d’irrigation au cours de cette même période, la complexité de la production en conteneurs en pépinière signifie que les pépiniéristes canadiens ont encore recours à des pratiques inefficaces d’irrigation par aspersion.
Le déplacement incessant des pots, rendu nécessaire par une foule de facteurs allant de la diminution des stocks pendant la saison des ventes aux exigences du stockage hivernal, ajoute aux coûts déjà supérieurs associés aux technologies plus efficaces d’irrigation au goutte-à-goutte. En outre, le manque d’automatisation en général des systèmes par aspersion signifie que la planification du régime d’arrosage repose principalement sur des intervalles d’irrigation minutés et des indices visuels. Dans ces conditions, l’arrosage risque d’être insuffisant ou excessif, deux situations potentiellement néfastes pour la croissance et la qualité des plantes. Et plus récemment, l’accès fiable à l’eau étant aussi devenu problématique pour de nombreux producteurs, la conservation de cette ressource se posecomme un enjeu de plus en plus important.
Le Dr Charles Goulet de l’Université Laval mène présentement un projet de recherche intitulé « Efficacité de l’irrigation en pépinière : vers une approche plus durable » (titre original : Irrigation efficiency in nurseries : towards a more sustainable approach) dont l’objectif est de permettre aux pépiniéristes d’optimiser leurs pratiques d’irrigation, c’est-à-dire de donner la bonne quantité d’eau, au bon moment, à la bonne plante. Ce projet est financé dans le cadre de la grappe « Accélérer l’innovation végétale verte au profit de l’environnement et de l’économie » par l’Alliance canadienne de l’horticulture ornementale (COHA-ACHO), des entreprises du secteur privé et le gouvernement du Canada par le biais du programme Agri-science du Partenariat canadien pour l’agriculture d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, une initiative fédérale-provinciale-territoriale.
Le projet actuel s’inscrit dans la continuité des travaux entrepris par le Dr Goulet dans le cadre de la grappe Cultivons l’avenir 2 (2013-2018) qui portaient sur l’utilisation de tensiomètres sans fil pour mesurer la quantité d’eau disponible pour les plantes et, consécutivement, élaborer un régime d’irrigation correspondant précisément aux besoins des végétaux. Cette technologie de pointe basée sur un interface Web sans fil a été jumelée à des systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte, avec ou sans matelas capillaire. La consommation d’eau et la croissance des plantes ont été mesurées pour déterminer l’impact de chaque régime. Les chercheurs ont pu conclure que l’irrigation de précision a le potentiel de réduire de manière significative la consommation d’eau en pépinière, car les tensiomètres sans fil fournissent des données fiables pour guider les décisions relatives à la programmation de l’irrigation. De plus, la technologie sans fil offre une liberté opérationnelle considérable en permettant aux producteurs d’accéder facilement aux données.
Les besoins en eau d’une plante peuvent varier considérablement d’une espèce à l’autre, mais le suivi des besoins individuels à l’aide de tensiomètres serait à la fois compliqué et coûteux. Par conséquent, identifier les plantes aux besoins en eau similaires et les regrouper dans la pépinière est devenu un élément important du premier volet de ce projet de recherche. Pour faciliter la prise de décision sur les pratiques d’arrosage, telles que la fréquence et le volume d’eau, une série de plantes de référence représentant une bonne diversité d’exigences d’arrosage, ont été identifiées. En plus d’être un élément essentiel du processus de recherche, l’usage de références permet de regrouper les plantes selon leurs exigences culturales très spécifiques.
Les travaux initiaux ont été réalisés dans les installations de production de l’Université, où l’on s’est servi de tunnels pour atténuer autant que possible les impacts des événements météorologiques tels que la pluie, la température et le vent sur les données de recherche. Cependant, lorsque le projet a été transféré dans une pépinière commerciale, il s’est avéré nécessaire d’apporter plusieurs modifications à la conception générale du projet. L’utilisation de tensiomètres sans fil a fourni des données fiables à l’équipe de recherche et à celle de la pépinière, mais les difficultés associées aux facteurs météorologiques, en particulier le vent ou l’arrivée imminente d’une averse, ont finalement conduit les chercheurs à adopter une approche hybride pour la détermination des régimes d’irrigation. En définitive, la décision finale d’irriguer est revenue à l’équipe de production de la pépinière, guidée par les données fournies par les tensiomètres.
Les données recueillies et les leçons tirées dans la première phase de ce projet de recherche ont largement influencé la conception de la phase actuelle et ses objectifs. Selon le Dr Goulet, « En raison des coûts, les pépiniéristes devront utiliser des systèmes d’irrigation par aspersion, mais la nécessité de gérer l’irrigation avec précision les amènera à tirer le maximum de leurs systèmes existants. Pour être vraiment efficaces en matière d’utilisation de l’eau, les différents régimes d’irrigation doivent être améliorés pour répondre aux exigences des espèces et du climat. »
Le premier objectif du projet actuel est d’améliorer la gestion de l’irrigation dans le contexte d’une pépinière au moyen de tensiomètres sans fil. Plus précisément, les travaux visent à optimiser l’utilisation des tensiomètres pour appuyer la pratique du regroupement. L’étude évaluera également l’influence du volume et de la fréquence des arrosages sur la croissance des plantes. Utiliser plusieurs espèces aux besoins en eau très différents en combinaison avec différents régimes d’irrigation (par exemple, en comparant différents volumes d’eau et différents intervalles d’irrigation) aidera les chercheurs à déterminer les quantités d’eau à donner ainsi que les effets sur la croissance des plantes. Des données plus précises seront recueillies au cours des deux premières années en menant l’expérience dans les installations de recherche de l’Université Laval, et les données obtenues seront utilisées pour déterminer les régimes d’irrigation à adopter quand les travaux seront transférés dans une pépinière commerciale.
La recherche se poursuivra aussi dans le but de propager l’usage des pratiques de regroupement. Afin de répondre au mieux aux besoins d’arrosage très diversifiés du très large éventail d’espèces qui composent l’inventaire de la plupart des pépinières, le nombre d’espèces de référence sera augmenté. Selon le Dr Goulet, « Le processus de regroupement n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît, car les éléments qui influent sur la croissance globale des plantes comprennent des facteurs tels que la fréquence d’arrosage ainsi que la quantité d’eau donnée à chaque fois. Il ne suffit pas de regrouper les espèces en catégories de besoins en eau élevés, moyens et faibles. »
L’objectif du projet sera d’augmenter la liste des espèces de référence, qui passera des 10 espèces actuelles à un total de 15, et les recommandations de regroupement correspondantes passeront de 50 à 100 espèces. Afin d’assurer l’exactitude des données, cette composante du projet de recherche utilisera les installations des tunnels de l’Université Laval pour atténuer les impacts des événements météorologiques naturels.
Pour réaliser son plein potentiel, l’irrigation de précision doit être soutenue par un solide procédé d’automatisation. Au cours des dernières années, de nombreux modèles intégrant diverses technologies d’optimisation du procédé d’irrigation ont été développés, et le troisième objectif de ce projet sera de déterminer les paramètres les plus utiles pour automatiser l’irrigation dans les pépinières commerciales. L’équipe de recherche évaluera si l’irrigation contrôlée par des mesures d’évapotranspiration donnera des résultats similaires à l’irrigation contrôlée par les tensiomètres sans fil de nouvelle génération. Le potentiel d’intégration de ces technologies fera aussi l’objet d’une analyse.
Toujours dans le but de fournir des recommandations pratiques pour une utilisation en pépinière commerciale, l’étude évaluera les différents paramètres qui pourraient être ajoutés au procédé d’automatisation à partir de données obtenues de sites météorologiques externes, notamment les prévisions de pluie quotidiennes, la vitesse du vent (pour retarder une irrigation prévue si le vent est trop fort) et les prévisions d’évapotranspiration. L’objectif final est de fournir aux pépiniéristes diverses options correspondant à leurs systèmes existants et à leurs ressources afin de les aider à acquérir de nouvelles technologies d’irrigation.